Judith, une date ?
– Le 29 septembre 1977, c’est le jour où je suis partie de Baltimore pour Paris en passant par New York pour prendre le bateau via le Havre avec mon diplôme de Beaux-arts en main, tout mon matos dans la cale, et bagages illimités.
Quelle est ton influence picturale ?
– Tout le monde me dit que je suis inspirée par Chagall, c’est vrai que je l’aime beaucoup. En fait mon influence picturale ce n’est pas si évident car ma peinture change, le style, la composition, la mise en page ainsi que les techniques : aquarelle, peinture à l’huile, pastels, tout change en fonction de la musique que j’écoute.
Quelle est ton influence musicale ? Tu peux peindre sur du rock ?
– Oui ! Mais du bon vieux rock like « buying a stairway to Heaven » (Led Zeppelin) « There’s a lady who’s sure all that glitters is gold and she’s buying a stairway to Heaven…” Il y a un très beau solo de guitare, très peu amplifié, presque comme si c’était une guitare classique au lieu d‘une guitare électrique.
Sinon j’écoute surtout de la musique classique dont la gamme commence avec Haydn, Mozart, Gustav Mahler, et j’aime toute la musique classique française. Pour moi un des compositeurs essentiels est Olivier Messiaen (pardon monsieur Boulez). J’aime aussi la musique contemporaine : John Cage, que j’ai pu voir aux Etats -Unis, Steve Reich… Si je peignais sur Steve Reich ce serait répétitif avec des images séquentielles, presque comme une BD. Philip Glass aussi, plus harmonieux, m’inspirerait des couleurs qui ne se heurtent pas. J’ai essayé une fois de peindre sur Xenakis, c’était une catastrophe, je me sens tellement agressée par sa musique.
Ton peintre préféré ?
– Ooooh ! J’en ai plein, toute la peinture française m’intéresse. J’aime aussi la peinture abstraite. Si mon travail reste figuratif, je vais à la limite de l’abstraction, selon la musique que j’écoute. J’aime Kandinsky, Klee, Bram Van Velde. Tous ceux qui font l’abstraction lyrique me nourrissent.
Ton œuvre pictural préférée ?
Un petit format de Vermeer qui est au Rijksmuseum d’Amsterdam. « The little street », une scène de rue à Delft, très frontale, deux façades typiques de maisons hollandaises en briques rouge vif et une petite ruelle qui va vers on ne sait où, quelques très beaux nuages et une dame à l’entrée. Juste une scène de rue sans aucune prétention mais dont la composition est parfaite et le rapport de coloris incroyablement beau. Je le trouve intemporelle.
Ton Musée préféré ?
– Le musée d’Orsay est un régal pour moi, aussi bien pour ses peintures et sculptures que pour son architecture.Je me souviens de cette polémique lorsque je suis arrivée à Paris. Ils voulaient raser cette vieille gare pour en faire un hôtel moderne dans le style du Niko un peu plus loin sur le quai. C’était la première « manif » à laquelle j’ai assisté. Juste l’idée que ce lieu magnifique puisse disparaitre pour laisser place à un hôtel m’avait profondément bouleversé.
Ta couleur préférée ?
– Oulala, difficile ! Mais on retrouve souvent le bleu vert, un bleu vert assez pâle dans mes œuvres. Dans l’ensemble j’évite le rouge, trop agressif. Je suis une coloriste, je suis très sensible à la couleur, les couleurs criardes me perturbent. Le but de tout ça c’est de placer les couleurs de façon à évoquer la musique que j’écoute.pour faire bouger la surface du rectangle d’une manière musicale, en jouant avec les pleins et les vides un peu comme un compositeur joue avec les silences, les crescendos, les pianissimos. J’applique un peu les mêmes critères.
J’ai eu le plaisir de rencontrer le compositeur Henri Dutilleux et j’ai pu lui demander s’il était influencé par la couleur. Il m’a répondu, « on dit ça de Messiaen mais jamais personne avant ne m’avait posé cette question”, et pourtant sa méthode consistait à écrire une œuvre, la laisser se reposer, pour ensuite la reprendre en choisissant une couleur dominante pour chaque mouvement (La nuit étoilée d’après Van Gogh)
Ton livre de référence ?
Je lis beaucoup et je recommande souvent de lire les lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo. Il y parle de façon très sensée de ses idées picturales et comment il utilisait les couleurs complémentaires en les juxtaposant ou en les mélangeant ensemble. J’aime aussi les livres sur le Bauhaus et en particulier un livre de Wassily Kandinsky dans laquelle il parle beaucoup de son enfance. ’Regards sur le passé et autres textes »
Texte de Véronique Dupard Mandel
